LICENCIEMENT DISCIPLINAIRE : L’utilisation abusive du matériel de l’entreprise peut constituer une faute grave… ou pas…

Face à des faits fautifs, il est parfois délicat pour l’employeur d’apprécier la sanction à infliger  et, pour le salarié licencié, de savoir si sa contestation peut prospérer devant le conseil de prud’hommes tant la matière relève le plus souvent de la casuistique.

L’on sait qu’il incombe au juge du fond, en vertu de l’article L. 1235-1 du code du travail, d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement disciplinaire.

Il peut à ce titre décider que les faits reprochés au salarié étaient bien fautifs tout en estimant que le licenciement constitue une sanction disproportionnée et, en conséquence, se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il peut aussi considérer qu’un licenciement pour faute grave est injustifié, mais qu’il existe néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Il peut encore considérer comme dépourvu de cause réelle et sérieuse un licenciement pour faute grave si la sanction était, selon son appréciation, disproportionnée, ce alors-même qu’il retient que certains faits étaient effectivement fautifs.

La Cour de cassation donne un récent exemple de cette dernière hypothèse dans un arrêt du 25 octobre 2017 qui illustre la fluctuation jurisprudentielle.

Une salariée est licenciée pour faute grave pour avoir détourné, à des fins personnelles, l’ordinateur mis à sa disposition par l’entreprise. Elle avait en effet téléchargé 10 giga-octets de photos et de vidéos pour un usage strictement privé, sans lien avec son travail.

Il lui était également reproché une utilisation abusive de sa carte de carburant et de télépéage  pour son usage personnel.

La salariée était contractuellement autorisée à utiliser le véhicule de l’entreprise à des fins personnelles avec pour seule restriction, le caractère « raisonnable » de l’usage.

L’employeur estimait ainsi abusif le fait d’avoir parcouru à titre non professionnel 2 143 kilomètres en 4 mois et d’avoir fait usage du télépéage à 4 reprises pendant la période de mise à pied conservatoire.

La cour d’appel a estimé que l’employeur ne démontrait pas en quoi une moyenne de 500 km par mois serait abusive. Si elle retient  les deux autres fautes, à savoir  le caractère abusif du téléchargement privé sur l’ordinateur et le caractère fautif de l’utilisation la carte de télépéage, elle considère néanmoins que l’employeur ne démontre pas le caractère illicite des données litigieuses et estime donc que la sanction de ces faits fautifs par un licenciement apparaît disproportionnée  et que le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L’employeur, à l’appui de son pourvoi, a fait valoir :

  • que, dès lors que la cour d’appel avait constaté le caractère fautif de l’utilisation de l’ordinateur, elle devait valider la faute grave sans exiger la preuve de l’illicéité du contenu des fichiers ;
  • que la cour d’appel n’avait pas non plus à apprécier la proportionnalité de la sanction.

La Cour de cassation ne l’a pas suivi. Elle a considéré au contraire que les juges du fond peuvent évaluer non seulement le caractère réel mais aussi, dans leur appréciation souveraine, le caractère sérieux du motif de licenciement pour motif disciplinaire.

Dès lors, la cour d’appel a pu estimer que l’utilisation abusive de la carte de télépéage et le téléchargement parfois abusif de fichiers personnels sur l’ordinateur de l’entreprise ne constituait pas une faute grave, et a pu décider qu’elle ne constituait pas non plus une cause réelle et sérieuse.

A l’inverse, dans un arrêt du 3 mai 2016, la Chambre Sociale avait admis que le licenciement d’un salarié pour une seule utilisation à titre personnel d’un badge de télépéage procédait d’une cause réelle et sérieuse.

L’appréciation judiciaire est donc en la matière opérée au cas par cas, en fonction du degré de la faute.

Cela laisse une marge de manœuvre aux plaideurs mais doit inciter à la prudence au moment du choix du licenciement.

 

Cass. Soc. 25/10/2017 16-11173

Cass. Soc. 3 mai 2016 14-23150

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